Archives mensuelles : mars 2014

Homicide involontaire : responsabilité pénale de l’employeur & faute de la victime

A propos de Cass Crim, 11 mars 2014, pourvoi n°12.86-796, F+B+R+I

Un employeur était poursuivi pour homicide involontaire à la suite de la mort de l’un de ses salariés, décédé après le versement d’un tracteur sur lequel il avait pris place, et qui était conduit par un autre salarié, également poursuivi.

En cause d’appel la Cour avait estimé que l’employeur n’avait pas respecté son obligation d’assurer la sécurité du salarié, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour faire comprendre à la victime, qui ne parlait pas français, les mesures de prudence à adopter lors de l’utilisation du tracteur.

Selon la Cour d’Appel de Bourges dans son arrêt du 20 septembre 2012, ces faits étaient bien constitutifs d’une « violation délibérée » telle qu’exigée par les dispositions de l’article 121-3 du code pénal ». (pour mémoire, l’article 121-3 du code pénal est ainsi rédigé : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

(pour mémoire, l’article 121-3 du code pénal est ainsi rédigé : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.
Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »)

Par un arrêt en date du 11 mars 2014, la Cour de Cassation a validé le raisonnement tenu par la Cour d’Appel de Bourges.

Pour se déterminer ainsi, la chambre criminelle, a retenu qu’il résultait des motifs de la cour d’appel que le prévenu avait commis une faute caractérisée au sens de l’article 121-3 du code pénal.

Ce faisant, la chambre criminelle a qualifié la faute commise par l’employeur, ce qu’avait omis de faire la cour d’appel. En effet, en se contentant d’affirmer que le prévenu avait commis « la violation délibérée exigée par les dispositions de l’article 121-3 », la Cour d’Appel semblait se référer à la « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » exigée par le code pénal.

Pour autant, et c’est ce que n’avait pas fait la Cour d’Appel, il est alors impératif d’identifier le texte législatif ou réglementaire qui aurait été violé, ce qu’elle n’avait pu faire, en l’absence de texte auquel se reporter.
La Cour d’Appel s’est, ainsi, contentée de la mise en évidence d’une faute caractérisée, c’est à dire une faute exposant autrui à un danger d’une particulière gravité, que l’auteur ne pouvait ignorer. La jurisprudence retient assez largement la faute caractérisée s’agissant du manquement de l’employeur à son obligation d’assurer la sécurité de ses salariés, aussi bien lorsque les consignes de sécurité particulièrement importantes pour leur intégrité ne sont pas clairement communiquées (Cass Crim. 14 févr. 2012, n° 11-83.291) que lorsque l’employeur ne veille pas suffisamment au respect de ces consignes de sécurité (Cass Crim. 13 nov. 2012, n° 11-88.928).

Mais cet arrêt est aussi intéressant en ce qu’il est une illustration des conséquences de la faute de la victime sur la responsabilité pénale.

La faute de la victime n’a aucune incidence sur la responsabilité pénale de l’auteur des faits, quelle que soit la faute qui lui est reprochée (Cass Crim. 22 févr. 1995, Bull. crim. n° 82), à moins qu’elle ne soit la cause exclusive du dommage (Cass Crim. 11 mai 1982, Bull. crim. n° 118 ; Cass Crim, 19 févr. 2013, n° 12-81.108).
En l’espèce, il était reproché à la victime de n’avoir pas respecté les consignes de sécurité qui lui avaient été prodiguées, aussi bien par l’employeur que par ses collègues. La victime a ainsi contribué à son propre dommage, en se plaçant dans une situation dangereuse. Pour autant, il reste que le lien de causalité entre le fait reproché à l’employeur et le dommage demeure, et le manquement de l’employeur dans la surveillance du respect des règles de sécurité par ses salariés a bien un lien de causalité certain avec le dommage, le comportement de la victime n’en étant pas la cause exclusive.

La Cour de Cassation s’est également prononcée sur le pourvoi formé par les parties civiles relatif au montant de la réparation qui leur était accordée. La cour d’appel l’avait réduit de moitié, en considérant que la faute commise par la victime exonérait partiellement les prévenus de leur responsabilité civile. La faute de la victime permet en effet d’exonérer partiellement l’auteur des faits de sa responsabilité civile (Cass Civ. 2e, 19 févr. 2004, Bull. civ. II, n° 75 ; Cass Civ 2e, 22 oct. 2009, n° 08-20.166), qu’elle soit volontaire ou involontaire.

Mais la chambre criminelle a cassé ces dispositions de l’arrêt d’appel, en affirmant que les juges auraient dû « faire application d’office à un accident de la circulation de la loi d’ordre public [n° 85-677] du 5 juillet 1985 », loi selon laquelle « la victime non conductrice d’un accident de la circulation ne peut être reconnue partiellement responsable de son propre dommage ». En effet, la réparation du dommage causé par un accident de la circulation est soumise à la loi du 5 juillet 1985, et en l’espèce, l’accident a été provoqué lors de la conduite d’un tracteur dans un champ. Si ce régime spécial s’applique évidemment aux accidents causés par un véhicule terrestre à moteur sur une voie ouverte à la circulation, elle s’applique également aux véhicules terrestres à moteur, circulant en dehors de ces voies, comme en l’espèce sur un champ (Civ. 2e, 10 mai 1991, n° 90-11.377), dès lors qu’ils sont en mouvement (Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 95.14-279).

Dès lors, et du fait de l’applicabilité de la loi du 5 juillet 1985, il devait être fait application de son article 3 au terme duquel il ne peut être opposé aux victimes non conductrices leur propre faute, sauf s’il s’agit d’une faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident, ou encore lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi.

Ainsi, la cour d’appel ne pouvait ainsi réduire l’indemnisation versée à la victime sans rechercher l’existence d’une faute inexcusable de celle-ci et l’absence de toute autre faute ayant contribué à la réalisation du dommage.